« Atelier » à la Bastille, rire de la construction théâtrale
Ils sont trois comédiens sur le plateau et invitent le public à une réflexion burlesque sur le processus de création des acteurs. Bousculant les préjugés, ils ne prétendent pas être en cogitation mais au contraire, ils démontrent qu’en matière de création, c’est comme en amour, il s’agit avant tout non pas d’intentions mais d’actes. Résultat déjanté et poétique.
Peter Van de Eede, Damiaan De Schrijver et Matthias de Koning renvoient à l’étymologie du mot poésie, à savoir créer, faire. Prenant la chose au sens propre, ils se démènent sur le plateau tels des manutentionnaires qui remontent leurs manches et transpirent pour faire avancer le chantier, le gros œuvre à réaliser étant une pièce de théâtre. Les planches sont ainsi de vraies planches et ils les assemblent par dizaines sous nos yeux, de même que les cintres ne sont pas la mystérieuse machinerie qui permet à un décor d’exister, mais de véritables cintres qu’ils suspendent par paquets sur une rampe de bois en hauteur. Viennent ensuite la pose du rideau qui est une belle partie de fou rire, le cirage des pompes qui sont de vieux sabots, les œufs cassés, le maquillage au gros pinceau, la fausse porte, l’urinoir de Marcel Duchamp, l’éclairage en quelques vieilles ampoules, les costumes que des chemises maladroitement enfilées transforment en déguisement comique, et ainsi de suite, toute une panoplie de matériel se met en place en vue d’une hypothétique représentation. Tout ce qui fait le théâtre, y compris les trois coups, est ici mis en scène dans l’acception primaire du mot. Jusqu’au moment où le trio s’empare enfin d’un texte et le décortique page par page. Mais en toute logique, ils dissèquent et éparpillent le livre en une métaphore délicieusement fantaisiste.
Spectacle sans mots hormis quelques grognements dubitatifs et une ou deux onomatopées, Atelier réunit trois acteurs issus des collectifs flamands et néerlandais tg stan, de koe et maatschappij discordia, qui démontent systématiquement les artifices du théâtre au profit d’une volonté d’aller au vif, à l’os, au cœur. Ils conjuguent leur humour, une fois de plus faisant preuve du sens de l’absurde et de la comédie, tout en plaçant l’acteur dans son rôle de monteur d’échafaudage au même titre qu’un sculpteur ou un peintre. Ils offrent au public un moment insolite, où l’on s’amuse au milieu de ce fatras. Simultanément on est discrètement et inévitablement touché car on sait, grâce à une complicité finement installée, que ce bazar apparent ou ce radeau périlleux est peut-être en réalité le point de départ d’une oeuvre. L’aboutissement du chaos pouvant tout aussi bien être un célèbre tableau de Géricault qu’un ready-made décisif pour l’art contemporain ou encore une pathétique sonate pour piano, les clins d’œil à Beethoven et autres artistes de diverses disciplines étant malicieusement distillés. Atelier, où le désordre et la maladresse sont remarquablement ordonnés, fait partie d’une trilogie aux côtés de Infidèles et Après la répétition qui, dans le cadre du Festival d’Automne au théâtre de la Bastille, interroge avec ces compagnies singulières la notion du processus créatif .
Emilie Darlier-Bournat
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